Floozman: épisode initial
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2e partie : Sur la route de Béthanie |
« Avec une abondance scandaleuse, il apporte la délivrance. »
Fred Looseman a été l’évaluateur en chef de risques au Crédit Mondial ainsi que le président de la Commission pour la répression du blanchiment des capitaux. À présent, son travail consiste à réparer les guichets automatiques de banque.
Parfois il entend des voix qui l’émeuvent au point de pleurer. Comme son compte en banque déborde de l’argent de la délivrance, c’est à de tels moments qu’il se transforme en super-héros de la finance : Floozman.
Là bas, au désert, la lumière de pâques revient anéantir la matière et le temps. On devine sa folle ardeur en regardant vers l’est mais les deux hommes qui passent sur le chemin vont dans la direction opposée, vers Jérusalem. Le plus jeune marche la tête basse pour cacher le sourire qu’il ne peut réprimer. Son cœur est pareil à une colombe qui prend son envol. Il voudrait rêver librement de la fête, de l’ombre des murailles blanches, des jeunes filles qui montent et descendent les marches du temple en faisant tinter leurs bracelets mais il ne le peut pas car il doit respecter la colère de son maître.
« Comment t’expliquer ? Les Indiens ont ce conte... Un homme de bien qui serait intelligent pourrait faire fortune avec... avec, mais... je ne sais pas moi ! Avec ce figuier desséché, tiens ! Tandis que toi, bourrique, j’ai beau de donner mille talents, tu te laisses réduire à la misère... »
« Je vous écouterai, maintenant. Je ne ferai rien d’autre que de vous écouter, Papé. Je le promets! Laissez-moi vous aider à la table de change. »
« Mais je ne serai pas là tout le temps. Tu comprends ? Je me demande si tu comprends...Ton pauvre père a déjà dû te demander ‘tu comprends’, non ? Je l’entends, moi, te demander comme ça, ‘tu comprends, Saül’ ? »
« Oui. »
Comme ils s’éloignent, un mendiant ouvre grand les yeux qui, privé de l’ombre de son figuier familier, a élu celle d’un Eucalyptus voisin pour y faire la sieste.
« Mais oui ! Il a raison !... Je sais que je ne suis pas sur terre pour vivre indéfiniment les mains vides, se dit-il. Les paroles de cet homme ont réveillé mon âme. Tout ce que je demande au ciel, eh bien, je vais croire que je l’ai reçu! »
Alors d’un coup de sandale, il abat le figuier mort. Alléluia ! Il creuse la terre à mains nues jusqu’à trouver un silex. A l’aide du silex, il coupe, il coupe les branches. Sur une pierre plate, il les débite en petits éclats allongés. Il les aiguise, il les polit puis il les groupe en fagots de taille égale. Il aiguise et polit pendant des heures. Il transpire. Les ombres s’allongent. Que faire d’autre, de toute façon, mendier ? Il réfléchit. Un parfum de nouveauté radicale flotte dans l’air. Alléluia ! Un enfant nous est né ! A demi-nu, armé de son silex, le mendiant retourne en esprit la terre meuble du monde. Que vais-je inventer ? Il se sent pareil aux chasseurs du Soudan. Aussi nu. La lance transperce la gazelle. On la mangera ce soir autour du feu. Il salive. Alléluia ! L’odeur de la graisse monte vers le ciel. Les hommes repus rient et se dilatent. Il passe sa langue sur ses lèvres. Il se souvient de la pâque et du sang de l’agneau: son papa lui tend le cuissot, il mord à belle dents. La lune est pleine et Jérusalem est en liesse. Alléluia ! La foule se presse dans le souk. Les petits bouts de viande le lendemain. Dégoutant. De petits restes de gazelle. La lance transperce la gazelle. Le petit bout de gazelle coincé entre les dents. La lance. Le petit bout. La petite lance. Alléluia ! La petite lance entre les dents. Oui !
Il arrive à la porte dorée juste avant la nuit. Dans les campements, il vend ses cure-dents pour un demi-talent. Les hommes les offrent à leurs femmes qui rient en découvrant l’invention. Les enfants se piquent le derrière en courant.
Avec l’argent des cure-dents, il ouvre une modeste buvette aux pieds de la nouvelle muraille. Pendant les temps morts, il enseigne son art aux enfants. Il leur offre des boissons et des gâteaux au miel en échange de fagots proprement ficelés. Il en constitue ainsi plusieurs sacs de réserve. Un jour, en discutant avec des soldats romains, il entend parler de l’arrivée d’une caravane en provenance du Yémen. Avec un âne emprunté, il part à sa rencontre. Il offre des sacs en échange de l’engagement de chaque marchand à demander des cure-dents dans les souks de Césarée. Quelques jours plus tard, il se rend là-bas et vend le reste de sa marchandise aux boutiquiers, cinq fois au dessus de son prix. Avec l’argent de la vente, il achète des dattiers à Jéricho.
Il devient très riche.
Il se souvient que tout a commencé avec les paroles du passant. Il décide de lui faire présent de la moitié de sa fortune en pièces d’or. Il se rend au temple où il n’a pas de mal à reconnaître le banquier marchand assis à sa table de change. Il lui remet son cadeau avec d’humbles remerciements.
Emerveillé, le vieil homme lui demande comment il peut se permettre un geste aussi fastueux. L’homme lui raconte comment ses propres paroles ont tout déclenché. Puis il lui raconte comment celles-ci l’ont conduit à un figuier mort, des cures dents, des dattes.
Ayant entendu son histoire, le banquier se dit en lui-même « Il ne serait pas bon de perdre le talent de ce jeune homme. Je suis très riche et je n’ai que ma fille adorée (enfin, il y a aussi ce fainéant de Saül, mais bon...). Cet homme célibataire mérite de l’épouser. Elle héritera des deux fortunes et elle sera bien traitée ».
C’est ainsi que le jeune homme énergique devient le plus puissant et le plus heureux banquier du monde Romain. Durant tout le restant de sa vie, il distribue largement ses richesses pour le bonheur de tous.
A l’heure de sa mort, il décide de dire à son fils ainé ce qu’il ne doit pas ignorer, au risque de rompre le charme.
« L’argent, tu verras... par moments, c’est lui qui construit la fortune... Laisse-toi guider. C’est comme dans le psaume... Voilà, je suis content de mes derniers mots, fils. Non, n’oublie pas, n’oublie pas le psaume : si ce n’est pas Dieu qui construit la maison, ceux qui la construisent œuvrent pour le néant... »
Alors le fils renonce à lui parler de la malédiction du figuier. Il ne lui dit rien de ces nouveaux prophètes qui annoncent que le Messie est venu accomplir l’écriture. Le père trépasse sans connaître les circonstances miraculeuses du desséchement de son arbre.
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Copyright © 2005 par
Bertrand Cayzac
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